Renforcer l’action humanitaire par la méditation et l’équilibre émotionnel

À la rencontre des organisateurs et des participants de Médit’Action à Calais, un projet soutenu par Nouveau Monde.

Avec cette série d’entretiens, nous explorons l’intersection entre la méditation de pleine conscience et l’engagement social, deux domaines qui semblent à première vue éloignés, mais qui partagent en réalité des valeurs de bienveillance et de présence active.

L’engagement social et humanitaire faisant face à de nombreux défis, est-ce que la méditation peut renforcer les capacités des acteurs de terrain ?

Méditons ensemble sur cette question à travers les témoignages de ce programme pilote.

Entretien croisé avec Kiêt Dao ,fondateur de Médit’Action et instructeur de méditation pleine conscience & Nadia, participante bénévole à Médit’Action Calais – Août 2024

Dans ce premier volet de notre série, nous étudions comment le maintien d’un équilibre émotionnel par la méditation peut renforcer la capacité d’agir dans des contextes humanitaires.

Comment la méditation aide-t-elle les bénévoles à gérer les charges émotionnelles souvent lourdes de l’aide humanitaire ? Comment cette pratique peut-elle transformer leur expérience et améliorer l’impact de leur engagement ?

Ces questions nous ont menés à Kiêt Dao et Nadia qui partagent leur vécu de la méditation comme un pilier de stabilité émotionnelle et d’action.

Nous explorons avec eux comment la pleine conscience enrichit non seulement l’expérience personnelle des bénévoles, mais renforce également leur efficacité sur le terrain.

 

Bonjour Kiêt. Tu es à l’initiative de MéditAction Calais, peux-tu nous partager ce qui a inspiré ce projet ?

La situation des migrants me touche depuis longtemps. J’ai voulu créer une initiative qui allie méditation et action humanitaire. Pour cela, je me suis inspiré des actions de Sangha Seva, actives depuis 20 ans à Calais, en Palestine et en Inde. Leur travail, dans l’esprit du Bouddhisme Engagé de Thich Nhat Hanh, ainsi que les initiatives de Karuna Shechen fondée par Matthieu Ricard, ont guidé la création de Médit’Action Calais. Ce projet marque le début d’un engagement plus large que je souhaite développer dans les années à venir.

Kiêt Dao, Instructeur MBSR et organisateur de l’initiative MéditAction.

Bonjour, Nadia. Tu as participé à l’édition de Calais en tant que bénévole. Qu’est-ce qui t’a motivé à rejoindre ce projet ? Avais-tu déjà participé à des actions similaires ?

Je n’avais jamais fait ça avant. J’en avais entendu parler parce que je suivais l’association Espace de la Source. Je suis sensible à l’aide aux autres, mais je n’avais jamais été jusqu’à aider des réfugiés. Dans mon environnement, dès que j’entends que quelqu’un a besoin d’aide, je propose mon aide, même à des gens que je connais peu. Mais je n’avais jamais été plus loin que ça. De fil en aiguille, en lisant des articles et en voyant ce que Kiêt proposait, je me suis dit, pourquoi pas ?

Nadia, participante bénévole à Médit’Action Calais.

Comment ça s’est passé pour toi ? est-ce que le fait de participer à cette expérience avec Médit’action de manière encadrée a permis de te rassurer ?

Nadia : Facilement, j’ai envie de dire. J’étais sur mes gardes et j’étais curieuse en même temps au début. Peut-être un petit peu apeurée avant d’être sur le terrain. Et en fait, tout est tellement bien soutenu, bien expliqué et bien sécurisé, que c’était facile.

Elsa : Tu veux dire sécurité d’un point de vue physique, émotionnel ou les deux  ?

Nadia : Les deux. Émotionnellement, avec la méditation, ça permet un tel bien-être et un tel apaisement. Je suis quelqu’un d’émotive et de sensible, mais grâce à la méditation, mon trop-plein d’émotions n’est plus un obstacle et donc je suis apte à faire face et à agir. C’était sécurisé émotionnellement, mais aussi physiquement parce que l’organisation sur place est tellement bien organisée, tout est pensé, réfléchi et mis en pratique. Ce qui m’a le plus émerveillé là-dedans, c’était de voir qu’autant de personnes peuvent vivre ensemble pendant une semaine sans une once d’agressivité les unes envers les autres et sans énervement. J’ai trouvé ça magnifique et c’est ça qui donne vraiment l’énergie de pouvoir aller se donner physiquement et mentalement à d’autres. Les périodes de méditation m’ont aussi aidé à surmonter physiquement la fatigue parce que je n’avais pas un tel rythme avant cette semaine-là. Nous avions peu d’heures de sommeil pour moi et j’ai eu un petit coup de mou au milieu de la semaine. Mais grâce à la pratique méditative et à l’énergie collective, c’est passé facilement, en gardant le même rythme. Trop bien !

 

Avec la méditation pleine conscience, qu’est-ce qui amène à ce sentiment de sécurité dans le groupe et avec soi ? Est-ce que ce sont les bases formelles qui sont posées dans l’apprentissage de la méditation pleine conscience ? Ou simplement parce qu’en se posant avec soi-même, on développe cette capacité d’attention, mais aussi d’empathie envers l’autre… ?

Nadia : Le formel effectivement avec les méditations de groupe, ça donne une base, surtout que je ne méditais pas avant. Mais il y a aussi l’informel. Ça me permettait de me remplir d’assez d’énergie et de ne pas être envahie par mes soucis personnels. J’étais tout simplement plus présente dans le moment qu’on vivait, que ce soit le matin en méditation ou la journée avec les autres. Ça m’a permis de me sentir bien et avec de l’énergie à partager, même avec des personnes que je ne connaissais pas.

Elsa : Si j’ai bien compris, ça permet d’être centré sur soi tout en se détachant du “Soi”, et ça permet de s’ouvrir alors à l’autre ?

Nadia: Oui, et aussi le fait d’être plus présent et de se sentir bien. Si on est vide, on ne peut pas donner. Donc, se remplir de bons moments, avec soi, tranquille, etc, ça permet d’aller vers les autres et de donner aux autres. C’est ce que j’ai appris et que je continue à apprendre.

Est-ce que cette expérience a impacté ton engagement social ?

Nadia : Oui ! Je suis en recherche de travail et cette semaine m’a permis de voir dans quel domaine je veux chercher. J’ai déjà commencé à postuler pour un travail qui a du sens. Je me suis dit que c’était vraiment ça dont j’avais besoin, du travail dans le social. Ça m’a permis de me lancer vers ça. La prochaine semaine de Médit’Action à Briançon m’appelle aussi, je vais voir si je peux être disponible.

Nadia, si tu parlais de Médit’Action à quelqu’un qui se pose la question de participer, tu lui dirais quoi ?

Je lui dirais que ce que je trouve bien dans Médit’Action, c’est cet encadrement, ce groupe et aussi la méditation qui vient en soutien. Et si j’en parlais à une personne qui a peur ? Je la rassurerai, je lui dirais qu’elle est soutenue et encadrée et qu’elle n’est pas toute seule. Je lui dirais aussi que c’est vraiment merveilleux pour soi et pour les autres.

Kiêt, peux-tu nous décrire comment tu as adapté la pratique de la méditation au contexte spécifique de l’action humanitaire ?

L’idée, c’est de relier les deux. Relier ce qui se passe dans la journée, dans l’action, et ce qui se passe en salle. Et puis de voir comment on peut se servir de la pleine conscience dans le quotidien. C’est très différent des retraites de méditation. Là, on ne se retire pas, au contraire, on va en plein dans la vie. La forme est donc très différente. Il y a aussi beaucoup plus d’interaction et de discussions informelles. Pour les pratiques de méditation, on s’adapte à la réalité de ce dont l’ONG sur place a besoin. Par exemple, en termes d’horaires. Au niveau du contenu des méditations, c’était lié à “comment utiliser la méditation pour se stabiliser ?”.
L’enjeu, c’était de soutenir une certaine stabilité intérieure pour amener cette stabilité dans l’action. Comme ça, une fois dans l’action, on peut revenir à son ancrage et continuer de distribuer de la nourriture ou de vivre des émotions fortes, sans se sentir submergé. Les partages de groupes en fin de journée sont aussi différents que lors des retraites de méditation. Là, on débriefait sur ce qui avait pu se passer pour chaque personne dans la journée et la méditation vient soutenir cette expérience-là précisément.

La méditation que vous pratiquez est-elle plus informelle par rapport à celle en salle ? Comment l’intègres-tu au quotidien des actions sur le terrain ?

Oui, les pratiques méditatives dans ce contexte sont liées à ce que l’on peut mettre en place dans le quotidien. La méditation guidée du matin donnait une proposition sur ce que l’on pouvait expérimenter dans la journée en lien avec nos actions. Par exemple le contact avec le corps. Être vraiment présent à ce qu’on fait, nos gestes et notre corps, lorsque l’on découpe des légumes. Sur les méditations de bienveillance plus larges, l’idée était de donner la possibilité ensuite de rayonner plus de bienveillance autour de nous tout au long de la journée. Que ce soit lors de la distribution de repas aux migrants ou dans le groupe de bénévoles. La pratique méditative permet d’amener de la présence et puis donne la possibilité de porter son attention ailleurs si l’émotion déborde, ou au contraire de la prendre en considération, suivant notre état intérieur. Donc les méditations formelles viennent ensuite s’ancrer dans la journée.

Penses-tu que la méditation a un impact différent quand elle est pratiquée sur le terrain plutôt qu’en retraite ?

Alors déjà, j’ai envie de dire que l’intention est différente dans les deux cas. Là, il n’y a pas qu’une seule intention, il y en a au moins deux : “prendre soin de soi” et “prendre soin des autres”. Et il y a aussi “prendre soin du groupe dans lequel on est”. On cherche à agir pour quelque chose de plus grand que nous. Ce n’est pas pareil qu’une retraite de méditation ou on est beaucoup plus en introspection, tourné vers soi. Prendre soin de soi en fait partie, mais pas que.

La méditation peut rassurer des personnes qui ne vont habituellement pas sur le terrain. Il y a des personnes qui ne seraient pas venues sans ça. Le fait d’agir en groupe rassure, ça soutient, on dépasse nos peurs et on y va ensemble. Pour d’autres personnes qui travaillent déjà le social, l’aspect méditation va apporter quelque chose aussi. Ça va permettre d’exprimer leurs émotions, de prendre un temps de connexion avec les autres et de voir ce qui se passe aussi pour les autres.

Envisages-tu d’étendre ce projet de méditation dans l’action à d’autres initiatives ou contextes ?

J’aimerais bien que ça se déploie et je sens que ça peut être bénéfique dans beaucoup de contextes. Après, chacun sa sensibilité avec le contexte dans lequel on veut s’impliquer. Moi, c’est une histoire personnelle aussi avec les migrants. C’est une histoire de famille, les boat people… Il y a quelque chose qui m’appelle donc j’ai envie de m’investir personnellement sur ce sujet. Ça me touche, tout simplement. Mais d’autres personnes peuvent-être impliquées dans ce projet Médit”Action, comme Frédéric qui est venu co-animer avec moi. Lui, par exemple, il pense à d’autres types de structures qui ont du sens pour lui, comme les restos du cœur ou la distribution de repas. L’idée, c’est d’intégrer au fur et à mesure des personnes qui pourraient animer ce type d’initiatives dans d’autres contextes auxquelles ils sont sensibles. Ces actions ne seront pas nécessairement impulsées par moi, mais là où eux, ça les touche.

Pourrais-tu partager avec nous un peu plus sur ton histoire personnelle et ce qui te lie particulièrement à la cause des migrants ?

Oui. Je ne l’ai pas vécu parce que je suis né après, mais c’est une histoire familiale avec laquelle j’ai grandi. Mes cousines, elles sont venues du Vietnam à 17 ans. Elles m’ont raconté leurs souvenirs, de la traversée en bateau. Il y a un qui m’a beaucoup marqué, celle d’un soldat qui leur avait donné une pomme. Ils étaient 10, donc la pomme, ils l’ont coupé en 10… Quand je vois ces gens qui ont traversé la guerre, qui ne pouvaient pas rester chez eux… Ils n’ont pas choisi de partir. Ils arrivent ici et en plus, on leur jette des cailloux, on leur jette des pierres. Ce n’est pas possible pour moi. Dans ma famille, vis-à-vis de l’intégration des Vietnamiens, il y a eu des résistances au début. Et puis on a tout perdu au Vietnam. C’était une famille dans laquelle il y avait de la richesse, ils sont arrivés et ils n’avaient plus rien. Et ils étaient divisés… Il y en a qui sont partis aux États-Unis, en France, en Suisse, en Angleterre. Mon grand-père vivait avec nous dans un petit espace. Personnellement, je n’ai jamais manqué, mais on l’a vécu. J’ai envie de faire quelque chose maintenant.

Elsa : Merci à tous les deux pour ce partage d’expérience !


Regards Croisés

Elsa : Ce qui m’a interpellée dans ces entretiens avec Nadia et Kiêt, c’est la manière dont la méditation, au-delà d’une simple pratique personnelle, devient un véritable soutien pour gérer des situations émotionnellement intenses. Nadia, qui se considérait initialement comme émotionnellement fragile, a découvert que la méditation pouvait non seulement l’aider à gérer ses propres émotions, mais aussi à se connecter plus facilement aux autres.

Cette expérience lui a non seulement permis de renforcer son engagement social, mais aussi de s’ouvrir à de nouvelles perspectives professionnelles dans le domaine du social.

Peut-être est-ce là un des ponts les plus significatifs que Médit’Action peut construire : celui entre l’introspection personnelle et l’action collective.

La méditation dans l’action pourrait bien devenir un modèle pour d’autres initiatives. En fin de compte, c’est une invitation à repenser la manière dont nous pouvons tous contribuer à un monde plus solidaire, en commençant par nourrir notre propre paix intérieure.

 

Articles par le Fonds de Dotation Nouveau Monde – Entretiens réalisés par Elsa Delaunay

Avec la participation de l’Espace de la Source, des organisateurs et bénévoles ayant participé au programme Médit’Action à Calais.